Témoignage de Marie-Laure

Je m'appelle Marie-Laure, j'aurai 35 ans dans 1 mois.

J'ai fait mon AVC il y a 9 mois maintenant, je suis désormais prête à en parler, symboliquement, après 9 mois...

Je pensais avoir toute la vie devant moi, à 34 ans, mariée depuis peu avec mon amoureux que j'aime tellement depuis 14 ans, jeune maman d'un merveilleux petit garçon, entourée d'amis formidables et d'une famille exceptionnelle. Une belle carrière aussi, je venais de démissionner d'un poste que j'aimais beaucoup, pour le job de mes rêves, dans une boite géniale.

J'ai fait mon AVC 3 mois jour pour jour après mon arrivée dans ma nouvelle entreprise, le dernier jour de ma période d'essai et sur mon lieu de travail, 9 mois (tout un symbole aussi) après notre mariage, 2 ans et demi après la naissance de notre adorable fils.

Commence alors la dérive. Je suis mortelle pour de vrai et je risque le handicap, la paralysie notamment. Je découvre les soins intensifs et la culpabilité de les faire découvrir à mes proches. Mais j'ai beaucoup de chance, d'abord nous découvrons la raison de mon AVC, il y en a une et ce n'est pas ma vie de patachon (quel soulagement!). J'ai une tumeur au coeur qu'il faut opérer d'urgence, un bout de la tumeur est parti tout droit dans le cerveau, une forme de tumeur rarissime me dira-t-on. J'ai eu de la chance d'avoir fait cet AVC, on a découvert la tumeur (qui s'avérera bénigne), cela aurait pu être tellement pire encore.

Mes nouveaux collègues m'ont sauvé la vie, ils ont eu de formidables réflexes, ils ont notamment composé le 15. Pourtant les signes de mon AVC étaient tellement anodins... Je voyais double devant la machine à café en arrivant à 8h et le sentiment d'avoir comme un oeil de verre. Mon mari me dira plus tard qu'il m'avait trouvée étrange le matin, mais aucun signe concret une heure plus tôt. Je me revois dire à mes collègues " on ne va quand même pas appeler les secours parce que je louche !!!", fort heureusement mes collègues ne m'ont pas écoutée, et m'ont ainsi sauvé la vie...

C'est important ça... Mon expérience (mal)heureuse me fait vous dire qu'un AVC n'est pas toujours aussi brutal que ce qu'on pourrait imaginer. On ne tombe pas forcément par terre, ce serait tellement simple... C'est parfois des signes à la con, du quotidien, ou qui semblent anodins. Pour moi ça a été de voir double, c'est tout...

C'est bien plus tard, dans l'ambulance que je me suis vue me paralyser et ne plus pouvoir parler.

Je m'en sors avec une chance incroyable : après la thrombolyse effectuée en moins de trois heures (grâce aux formidables réflexes de mes collègues),  deux opérations du coeur et leur lot de complications (j'ai frôlé la mort deux fois de plus), plusieurs séjours en soins intensifs, je rentre à la maison moins de trois mois après mon accident, sans handicap (visible). Démarre alors ma course à ma vie d'avant.

Ma vie d'avant c'est de vouloir à tout prix être la super maman, la super amoureuse, la super fille, la super amie, la super collègue... La "super tout" en somme.  Et le plus douloureux pour moi commence sans doute ici, après le retour à la maison. Parce que tant qu'on est à l'hôpital, on n'est jamais seul, on n'a pas peur de la récidive, on vit au rythme sécurisant du monde médical et on est assisté dans chacun de ses gestes. Quand on rentre chez soi, on redécouvre son monde et on appréhende les difficultés des gestes simples : lire, faire à manger, traverser la route avec son petit garçon, suivre les conversations, retrouver la sortie d'un magasin, prendre un RDV toute seule, s'orienter dans le métro... Tout devient défi quotidien, serai-je un jour la même qu'avant ? Pourrai-je retravailler un jour ? M'aimera-t-on encore ? Comment être "super tout" dans ces conditions ? Mes séquelles d'alors ne sont pas visibles : difficultés de concentration, d'attention, d'organisation, je ne réfléchis plus comme avant... Et pire encore, je suis tellement fatiguée alors que j'ai tant de batailles à mener et tant de proches à rassurer. Mes séquelles se sont pas visibles et donc difficilement compréhensibles pour mon entourage, mon mari surtout qui doit pallier à toutes mes difficultés. Je m'épuise dans les gestes quotidiens et sombre soudainement dans la dépression, moi qui me définit comme quelqu'un de solaire, je me découvre les mois qui suivent, tristement lunaire. Cela m'est insupportable.

J'ai encore de la chance, je démarre alors un parcours de rééducation neurologique en hôpital de jour. Je rencontre des soignants formidables, qui m'aident dans le nouvel apprentissage de ce qui relevait pour moi des réflexes élémentaires, rudimentaires et enfantins. Ils m'encouragent et me soutiennent, et m'aident finalement dans ma plus grande bataille d'alors: retrouver le moral, le sourire, la confiance en moi, redevenir solaire.

Ils m'aident notamment dans quatre étapes essentielles : apprendre à accepter ce qu'il m'est arrivé, apprendre à m'octroyer des temps pour moi, regagner le droit de conduire (j'ai vécu comme une perte de mes droits civiques le fait de ne plus pouvoir conduire) et me préparer telle une grande sportive à ma reprise du travail. J'ai beaucoup d'admiration et de reconnaissance pour eux tous, ils m'ont eux aussi sauvé la vie.

Lorsque j'étais encore à l'hôpital, j'ai commencé à écrire la liste des trucs que je ferai si je m'en sortais, une amie m'a offert le calepin qui m'a permis de l'écrire. Par ce geste simple, elle aussi m'a considérablement aidée.. J'ai continué à l'écrire à mon retour, ça m'a donné le courage d'avancer. J'ai commencé à faire des choses de ma liste (la première a été de me teindre les cheveux en rose, c'était drôle). 9 mois plus tard, il me reste encore 3 pages de choses à faire dans ma liste et je continue à l'alimenter tous les jours. Je veux vivre ma vie.

Mon mari m'a sauvé la vie lui aussi, par son amour et sa force, je ne me suis pas perdue, je n'ai pas fait de bêtise. Et lui aussi a sombré dans la déprime, on n'en parle pas assez mais les aidants, eux aussi ont besoin d'être accompagnés. Un AVC ce n'est pas une affaire d'individu, c'est une affaire de famille.

Là encore j'ai eu beaucoup de chance, mon entourage, ma famille, mes amis, mes collègues anciens comme nouveaux, m'ont tous considérablement aidée à accepter, me projeter, rire, vivre.

Et j'ai relu mon conte préféré lorsque j'étais enfant, Le petit Prince. Tel un rite initiatique, la lecture du Petit Prince m'a (moi aussi) aidée à retrouver mon chemin. "Fais de ta vie un rêve et d'un rêve une réalité" raisonne depuis à nouveau dans ma tête chaque jour et façonne ainsi mon quotidien.

Me voilà donc 9 mois plus tard et ma nouvelle vie devant moi, avec une saveur particulière, liée à la conscience que tout peut s'arrêter demain et la rage de vivre ma vie. Si j'ai beaucoup de chemin à parcourir encore, je transforme progressivement ce traumatisme en quelque chose de drôlement chouette, une force douce et nouvelle qui guide chaque jour mes choix et éclaire ma perception des choses.

Je conduis à nouveau, j'ai repris mon travail en mi-temps thérapeutique 5 mois seulement après l'AVC, je n'ai plus aucun traitement, plus aucune douleur. Je suis autonome, forte et vivante. Je suis fière de moi, indéniablement solaire et tellement reconnaissante envers mes proches et la vie.

Voilà pour mon témoignage, si je devais résumer j'insisterais sur trois points : l'importance des signes de l'AVC parfois si anodins, la triste phase inévitable mais surmontable de déprime post AVC à laquelle nous sommes moins préparés et peu accompagnés, et l'importance considérable de l'entourage personnel et médical dans la plus grande bataille de notre vie.

Marie-Laure.